« Massacres » du 28 septembre : François Lonseny Fall reconstitue le film de l’événement tragique

Les témoins et autres victimes qui se constituent partie civile continuent de défiler à la barre du Tribunal criminel de Conakry pour faire part à l‘audience publique ce qu’ils auront vu et vécu le 28 septembre 2009 lors d’un meeting de protestation contre la candidature des militaires à la prochaine élection présidentielle.  Ce rassemblement était organisé par les forces vives de la nation dans le plus grand stade de Conakry d’alors. Ce fut le tour de François François Lonseny Fall, diplomate à la retraite de livrer sa part de « vérité » ce mardi 28 mars. Récit d’une aventure ambiguë…

 

«Personnellement, plusieurs personnes ne me croyaient pas quand je leur parlais de ce qui s’est passé au stade du 28 septembre.  Plusieurs personnes ne croyaient pas qu’on pouvait violer les femmes en pleine journée. Plusieurs personnes ne croyaient pas  qu’on a tué des personnes.  J’étais au stade avec mes compagnons des forces vives » a indiqué François Lonseny Fall.

Fall de par ailleurs révéler : « On nous avait informés qu’il y aurait des problèmes au stade. »

Et d’ajouter par la suite que :Jean-Marie nous a informés qu’il attendait une délégation des religieux ». Sans doute pour une  médiation de dernières minutes ou de dernières chances pour le report de la manifestation des forces vives de la nation. Ce qui a fait d’ailleurs, selon François Lonseny Fall,  que le porte-parole de forces vives Jean-Marie Doré n’a pas faire  le chemin avec ses collègues leaders politiques, qu’il rejoindra un peu plus tard au stade du 28 septembre où a lieu le meeting de protestation contre une éventuelle candidature du capitaine Moussa Dadis Camara, chef de  la junte et tout  autre membre du CNDD.

« Je le rappelle… »

 

« Portés en triomphe par nos militants, nous sommes rentrés au stade et montés dans les tribunes. Tous les leaders étaient présents », affirme Fall, à l’exception du Professeur Alpha Condé qui a voyagé sur la France, quelques jours plutôt,  aux dires du narrateur,  qui s’est ensuite échiné à décrire l’atmosphère qui régnait  ce jour-là.

«L’atmosphère était l’atmosphère des grands jours. Nos militants avaient pris d’assaut et dans les tribunes et les gradins. Je me rappelle encore des jeunes en train d’entonner l’hymne national et d’autres qui s’étaient alignés sur la pelouse pour prier ; faire deux raak’at de prière pour remercier Dieu pour leur avoir donné l’occasion d’être là. Et remercier Dieu également qu’il puisse bénir  notre pays pour l’avènement de la démocratie en Guinée.  C’était un grand moment, monsieur le président, s’adresse le témoin au président du tribunal.  J’étais là, précise-t-il,  et je regardais ce spectacle avec beaucoup  d’encouragements pour l’avenir de notre pays. »

Et,  le témoin-victime de rajouter  la partie de la journée qui a fini par polluer l’atmosphère.  Pas seulement !!

« J’ai vu les jeunes tomber… »

«A certain moment, narre-t-il,  nous avons vu  notre porte-parole (Jean-Marie Doré, ndlr) faire sa rentrée par le portail de rentrée des footballeurs. De là où  nous étions, moi j’étais à la première ligne.  Sidya (Touré) était à droite,  Cellou Dalein,  Aboubacar Sylla et ainsi de suite. Mais nous,  notre position sur l’aille gauche, était une position stratégique qui nous permettait de voir directement le portail d’entrée du stade. Nous avons vu notre  collègue Jean-Marie ovationné par les jeunes. Et, à son habitude,  il était en costume-cravate. Nous étions contents finalement que notre porte-parole puisse se joindre à nous », explique l’ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Condé.

Et, d’ajouter la reconstitution du film de l’événement qui va finalement tourner  court.

« Aussitôt, nous avons entendu des crépitements d’armes à l’extérieur. suivis d’une grande muée de gaz lacrymogènes qui a envahi tout le stade. Le stade a été inondé de gaz lacrymogène.  Nous étions à la tribune. Mais de là où nous étions,  on arrivait plus à respirer.  C’était ma première expérience avec l’odeur ocre,  sulfureuse du gaz lacrymogène. Les jeunes ont formé un cordon, ils avaient des feuilles pour nous protéger contre l’effet des gaz lacrymogènes. Eux, je cois qu’ils en  avaient l’habitude. Et donc, c’est en ce moment que la panique a gagné tout le stade. Les jeunes courraient partout.  Il y a eu un mouvement de panique. Ces tirs de l’extérieur du stade ont précédé l’entrée des militaires. Quand ils ont fait leur entrée, de là  où j’étais j’ai reconnu le commandant Aboubacar Sidiki Diakité dit Toumba parmi eux. Il était facilement reconnaissable. Précise-t-il. Je n’avais pas de relation personnelle avec lui ; je ne l’avais jamais approché. Mais, tous les Guinéens le connaissaient. Parce qu’on le voyais  toujours son regard sévère derrière le président du CNDD (Conseil national pour la Démocratie et le Développement). Je l’ai reconnu, les militaires sont rentrés. Et les militaires ont commencé à tirer sur la foule qui était en débandade. Vous ne pouvez pas vous imaginer monsieur le président,  dans un endroit fermé, un enclos fermé ; les portails tenus par des militaires avec les murs hauts. Les femmes,  puisqu’il y avait beaucoup de femmes ce jour-là ; les militants et militantes de tous les partis de Guinée étaient au stade ce jour-là. La panique a gagné le monde. Les gens courraient partout,  ils escaladaient le mur. Des jeunes tombaient. J’ai vu les jeunes tomber ce jour-là sur la pelouse. Les militaires tiraient sur eux. Sidya m’a dit : écoute, tu as vu, ils sont en train de tirer sur les jeunes.  J’ai dit : oui, effectivement, ils sont en train de tuer les jeunes. Je ne pouvais jamais imaginer que cela pouvait se passer dans mon pays », jure l’homme politique doublé de sa casquette de diplomate.  Sans discontinuer : « C’est en ce moment que nous  avons vu le Commandant Toumba monter les escaliers vers nous. Arrivé à notre niveau, il a dit : où sont les leaders ? Nous étions déjà débout. Il y avait Joe Sidibé, moi-même,  Sidya, Cellou Dalein,  Aboubacar Sylla.  Ainsi de suite.  Dès que nous nous sommes levés, le groupe de militaires qui étaient derrière  lui que je reconnais comme étant  le groupe de Marcel, s’est emparé de nous. Nous avons reçu des violents coups. Sidya a reçu un violent  coup de gourdin ou de crosse de fusil sur la tête. Le sang a jailli. Ensuite, j’ai reçu,  je suis tombé sur les gradins sur le coude droit qui s’est déchiré. Le sang, la douleur, je l’ai ressenti vivement. C’est ainsi que tous les leaders sont descendus, certains du côté droit, d’autres du côté gauche de la tribune. Nous étions poursuivis par ces militaires jusqu’à sur la pelouse. »

Sur la pelouse…

«Sur la pelouse,  j’ai vu notre collègue Cellou Dalein entre leurs mains. Il y avait au moins cinq ou six militaires.  Ils étaient nombreux. Tentant de l’étrangler littéralement, le rouant de coups. Je l’ai vu entre leurs mains. Et, pendant que nous étions arrêtés, j’ai vu Marcel asséné un violent coup sur la tête de Sidya Touré. Ensuite, ce sera mon tour ; un violent coup sur ma tête,  je suis tombé monsieur le président… Je me suis accroché à la ceinture de mon jeune et infortuné collègue du jour Mouctar Diallo. Et, comme mon aide de camp , mon garde du corps était habillé en civil,  en tee-shirt noir comme des policiers, ayant vu ce violent coup sur ma tête,  m’a couvert de son corps. Moi, accroché à Mouctar ; Mouctar était déjà blessé à la tête, Sidya blessé à la tête,  moi au coude ; C’est en ce moment  que Toumba a essayé de dégager les militaires. Ils ne pouvait pas. Se désole-t-il. Difficilement, ils nous a extrait. Ils nous a demandé de le suivre. C’est ainsi que nous sommes sortis de l’intérieur du stade. Nous l’avons suivi, mais les assaillant nous suivaient toujours.  Arrivé au niveau du Palais des Sports, on a vu des militaires en train de déshabiller et battre les femmes. Nous avons vu une femme presque déshabillée qu’on tirait vers le Palais des Sports.  C’est ainsi que nous avons marché jusque niveau de l’esplanade du stade du 28 septembre où  nous avons retrouvé notre infortuné porte-parole Jean-Marie Doré. Il n’avait plus sa veste ni sa cravate. Il était battu à sang. J’ai eu le cœur meurtri. Il est venu vers nous. Après,  Toumba nous a embarqués dans son véhicule. Il y avait Sidya Touré,  Mouctar , moi-même  et Jean-Marie Doré. Et puis, il est reparti en courant à l’intérieur  du stade. Nous sommes restés dans le véhicule.   Pendant ce temps, Marcel et   ses soldats tournaient autour du véhicule. Ils proféraient des menaces. A certain moment, il a asséné un violent coup de matraque sur le visage de Sidya Touré. J’ai ressenti ce coup, parce qu’il était violent. C’était en plein visage. Sidya lui a dit :mais, qu’est-ce que moi, je t’ai fait ? Marcel a répondu : vous, vous n’allez jamais gouverner ce pays. On va vous tuer tous. Et il menaçait. Nous étions pris de frayeur.  Parce que nous n’avions personne pour nous protéger. » Raconte ce témoin-victime.

Retour du « sauveur »

Une vue du tribunal criminel

 

«C’est en ce moment qu’on a vu Toumba revenir en courant toujours.  Il est revenu et il s’est mis au volant.  Il a démarré. Plutôt que de prendre la route  du camp ; parce que pour nous , ils sont venus pour nous arrêter. Il a fait  demi-tour et il a pris la route de Donka. Il est allé à une très grande vitesse, je dirais à tombeau ouvert. On est allé jusqu’au pont du 08 novembre.  Arrivé là, il a tourné à droite. J’ai pensé en ce moment qu’il nous amenait au quartier général de la CMIS (Compagnie Mobile d’Intervention et de Sécurité) . Et, finalement,  il a garé devant la clinique Amboise Paré.  Nous sommes descendus. Nous avons vu des médecins et des infirmières venir nous accueillir.  C’est en ce moment encore qu’on a vu Marcel surgir. Le commandant Thiègboro était présent sur les lieux.  Il y a eu une altercation entre Marcel et Toumba.  C’est là où nous avons su que celui qui nous battait au stade s’appelle Marcel. Parce que Toumba l’appelait par son nom. Ils ont eu une longue discussion. Ils sont allés   vers un côté. Il dit :  Marcel, on va faire ça. Marcel dit « Non ». Marcel tenait à ce qu’on nous amène au Camp Alpha Yaya Diallo et Toumba tenait à ce qu’on nous soigne à la clinique.  Ils sont allés de l’autre côté de la route. Et Toumba  n’a pas réussi à le contenir.  Il est revenu vers nous. Le commandant Thiègboro a essayé aussi timidement d’intervenir auprès de Marcel. Ça n’a pas marché. C’est ainsi que Marcel a sorti une Grenade pour  dire que s’ils nous recevait dans ce dispositif hospitalier,  il allait faire exploser la clinique. Les infirmières et les médecins ont tous fui et sont rentrés toute suite en courant dans la clinique. Nous-mêmes, nous étions pris de frayeur.  Toumba ayant compris qu’il n’y avait pas la possibilité de nous faire admettre dans cette clinique, il nous a embarqués dans son véhicule. Et, toujours la même allure ! C’est pourquoi j’ai utilisé le terme à tombeau ouvert, on est revenu jusqu’au pont du 08 novembre.  Cette fois, nous avons pris la direction de la ville. Ils nous a conduit jusqu’au niveau de l’état-major de la de la gendarmerie…  Après, on est venu nous chercher pour nous amener à un bureau de la gendarmerie qui est à côté du ministère du plan. C’est là où Sidya a accepté, parce que nous autres on a pas accepté ; ils ont fait des points de suture sur la tête de Sidya dans les conditions très primaire sans anesthésie.  Entre-temps, parce que c’était enfin de journée, je crois que les autorités ont compris qu’il y a eu beaucoup de morts. Qu’il y a eu un carnage au stade du 28 septembre, je suppose. C’est en ce moment là qu’on nous a admis a la clinique Pasteur dans une grande salle. Jean-Marie,  Sidya, Mouctar et moi-même. C’est dans la soirée qu’on nous a ramené notre collègue Cellou Dalein sur une civière. Quand il est arrivé,  il n’a pas pu se lever.  Parce qu’il avait les côtes cassées. Ils l’ont glissé sur un lit a côté moi. Je l’avais pris pour mort quand on quittait le stade. C’est la manière dont j’ai vu les militaires s’acharner sur lui », se souvient François Lonseny Fall, ajoutant  qu’à la clinique Pasteur, ils étaient dans une situation de détention.

Puisque, dit-il, les gendarmes postés là ne leur permettaient  pas de téléphoner. En dépit de tout, ils ont réussi à  appeler  leurs familles et leurs amis en Guinée et Navarre pour leur dire qu’ils vont bien.

Nabi Laye Youssoupha

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